Aux heures les plus sombres

@Agata Sierv & Vita Havel

Je me suis laissé tenter par une aventure orale lors d’un festival éphémère organisé par un cirque itinérant asiatique. Sortilèges et  illusions sont au rendez-vous. Alors que je m’installe sur des coussins posés au sol, mon regard parcourt la tente aux allures bohèmes, croise un instant celui d’une jeune femme blonde avant de revenir sur le visage de la vieille conteuse. Elle sait poser l’ambiance tout autour d’elle et de son public avant de commencer à narrer son histoire. Étranges sensations que de se laisser attendrir l’esprit par la douceur des bougies savamment disposées dans la pièce ; les effluves d’encens se répandent et apaisent mon puissant odorat ; je me laisse captiver par la voix mélodieuse de la vieille femme, qui accompagne son récit de grands gestes lents. Un instant, je la vois disperser des herbes dans une coupe de feu, et le suivant, je me retrouve dans une pièce complètement différente. De grandes tapisseries marbrées de dorures remontent le long des murs jusqu’à un haut plafond et la lumière se fait plus intense. Je cligne un instant des yeux ; j’ai dormi ou bien ?

« Qu’est-ce que… ? Hein ? » Je balaye les alentours d’un regard surpris, j’ai du mal à comprendre par quel sortilège j’ai voyagé dans une autre pièce sans m’en apercevoir. Deux hommes conversent autour d’un verre, l’un en armure, casque et gantelets ôtés, l’autre beaucoup plus digne, vêtu comme un prince d’orient, des siècles auparavant. L’homme en armure suspend sa phrase en tournant son regard vers moi, qui s’emplit de défiance alors qu’il porte aussitôt la main à sa taille pour saisir son épée. Je recule aussitôt, bousculant derrière moi quelqu’un ; je m’empresse de faire volte face pour croiser à nouveau le regard bleu perçant de la jeune femme aperçue plus tôt. J’ai du mal à déterminer si elle fait partie de cette réalité étrange ou si elle s’est retrouvée ici depuis la tente du festival elle aussi… Mais je n’ai pas le temps de poser de questions, juste celui de m’excuser vaguement avant de retourner la tête vers les deux hommes. Le prince ou le seigneur pose une main ferme mais calme sur le torse de son chevalier. « Rengainez, Bélisaire. » Son ton ne s’élève pas, sa voix seule suffit à imposer l’autorité autour de lui. Il a l’air jeune, mais épuisé. Il fait un signe à son émissaire de s’éloigner et ce dernier hésite un instant avant de se soumettre. « N’est-ce pas là un présage sacré ? L’oracle avait prédit … une arrivée bienvenue. » Il me regarde un instant sans que je ne sache quoi répondre puis pose des yeux fatigués mais intéressés sur la demoiselle à côté de moi. « L’heure n’est pas aux grands discours, l’insurrection gronde et mes hommes doivent préparer les troupes. Joignez vos forces aux miennes, et vous serez dûment récompensés. » De quelles troupes parle-t-il ? La seule question qui me vient franchit finalement le seuil de mes lèvres : « Où sommes-nous ? » Je n’ai pas été très assidu à l’école, il faut que je l’admette et le nom de Bélisaire ne me dit rien.

made by black arrow